L’origine et l’histoire de l’ENSMA
« Des circonstances et des hommes »
Jacques de Fouquet (Directeur honoraire)
L’ENSMA est-elle la conséquence d’une erreur ? Un jour de 1927, un jeune sous-lieutenant originaire de Poitiers, sorti de peu de l’Ecole Normale Supérieure après un détour par Polytechnique, errait dans les couloirs de la Sorbonne, lors d’une permission, à la recherche de l’endroit où devait se tenir une conférence de mathématiques.
Le hasard voulut qu’il se trompât de salle et pénétrât dans un amphithéâtre où avait lieu un exposé sur la dynamique des fluides. Le conférencier était H. Villat, plus tard Président de l’Académie des Sciences et le sous-lieutenant H. Poncin, fondateur de l’ENSMA.
Curiosité du normalien pour une discipline encore à ses débuts, talent et conviction du conférencier, toujours est-il que cette erreur décida de l’orientation de M. Poncin, qui à son retour à la vie civile, entreprit des recherches sur les fluides pesants et le comportement des cavitations sous la direction d’H. Villat.
Quelques treize ans après, nommé professeur de Mécanique Rationnelle à l’université de Poitiers, H. Poncin y retrouvait un de ses jeunes condisciples au lycée, C. Chartier qui s’intéressait alors à la chronophotogrammétrie des écoulements.
Malgré les contraintes dues à la difficile période de l’occupation, le tandem Poncin-Chartier entreprit de monter dans les locaux exigus de la faculté, située à cette époque rue de l’Université, un laboratoire de mécanique équipé successivement d’un canal à mouvement d’eau, d’une soufflerie Eiffel qui prenait l’air de la rue, et même d’une soufflerie supersonique, dont l’alimentation électrique du moteur de 130 CV posa quelques problèmes de raccordement.
L’idée de compléter la formation des étudiants de licence par des enseignements de technologie et de dessin industriel s’imposa dès cette époque dans les esprits du professeur de mécanique et de son chef de travaux.
Fort opportunément, un gadz’art originaire de Dissay, avait rejoint depuis peu Poitiers comme professeur d’enseignement technique après quelques années d’activité dans le trèfilage. M. Saigne, futur directeur adjoint de l’ENSMA, fut rapidement intégré à l’équipe lui apportant ses compétences technologiques et de réalisateur.
Survint la Libération avec la création, sous l’égide de la Direction Technique et Industrielle (D.T.I.) du Ministère de l’Air et en liaison avec l’Education Nationale, de Centres de Recherche à vocation Aéronautique.
Dès 1945 une convention entre la DTI, l’Université de Paris, et l’Université de Poitiers, permettait de créer un institut de mécanique spécialisé dans l’étude des solides et des fluides, l’Institut de Mécanique et d’Aérotechnique de Poitiers (IMAP).
Pour assurer la partie « Solides », un professeur de Spéciales à Nantes qui avait soutenu en 1943 sa thèse de doctorat sur les « Dislocations cristallines produites dans les métaux par des torsions simples et alternées » et qui avait des attaches à Poitiers, fut sollicité. R. Jacquesson venait à Poitiers en 1946 comme professeur de Mécanique des Solides, sur une chaire prise alors en charge par le Ministère de l’Air en même temps que celle de Mécanique des Fluides occupée par M. Chartier.
Lorsqu’en janvier 1947 sortit le décret institutionnalisant les ENSI la situation était mûre pour que l’IMAP donne très naturellement naissance à « l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et d’Aérotechnique ».
Entre temps, MM. Poncin et Chartier, avaient convaincu les autorités locales de l’intérêt qu’il y aurait à attribuer des bâtiments (caserne Dalesme et terrains situés à Biard) à l’IMAP et à un organisme créé pour faciliter les coopérations et les liaisons avec l’activité économique régionale, l’Institut de Recherches et d’Essais du Centre Ouest.
Le 27 mars 1948 étaient créées par le décret les premières ENSI : chimie de Paris, Grenoble, Nancy, Nantes, Poitiers.
Par anticipation, le premier concours de recrutement avait lieu en 1947. La première promotion d’ingénieurs ENSMA constituée des étudiants de l’IMAP sortait en juillet 1948 et fondait aussitôt l’Association des Ingénieurs ENSMA : ils étaient « huit ».
Ce fut alors la période d’installation dans les nouveaux locaux avec les deux promotions. La cour de Dalesme avait gardé son aspect militaire. L’entrée de l’école se situait directement sur la place Montierneuf : le boulanger, le tabac-bar et le coiffeur voyaient arriver non sans satisfaction ces étudiants issus des quatre coins de France et même d’Outre-Mer. De jeunes enseignants, certains à peine plus âgés que leurs auditeurs, faisaient leurs premières armes, qui en mécanique, qui en technologie, qui en aérodynamique.
L’inauguration officielle de l’école eut lieu au printemps 1950 à l’occasion d’un Colloque International de Mécanique dédié à Descartes. Elèves, enseignants, personnels se serrèrent les coudes pour accueillir d’éminentes personnalités dans une atmosphère bon enfant, avec concert de piano à l’appui. Le parcours des actes de ce colloque restitue l’activité à l’époque de ceux qui, trente années durant, ont contribué au développement de l’ENSMA et du CEAT.
La maison des élèves avait accueilli ses premiers occupants en octobre 1949. La même année A. Paganel avait pris en main la santé physique et morale des ingénieurs. Vingt années plus tard, sa succession était solidement assurée lorsqu’il quitta ses fonctions pour mettre en place la nouvelle Unité de Recherche et d’Etudes Sportives de l’Université.
Ainsi naquit l’ENSMA ; le 30 avril 1950 M. Poncin déclarait « Nous savons bien que nous ne pourrons jamais apprendre à nos élèves tout ce dont ils auront besoin même les premières années de leur carrière. Puissions-nous tout au moins leur inculquer le goût du travail bien fait et développer leur curiosité scientifique ». Le message était clair. Il reste d’actualité. Hommage soit rendu à tous ceux, personnels d’enseignement, de recherche, techniques et administratifs, anciens élèves, personnalités extérieures qui au cours de toutes ces années ont contribué chacun à leur façon au développement et à la notoriété de l’ENSMA.